La Porte Blanche, Chapitre 2, Page 1

Publié le par Cidragon6

Chapitre 2


Ville de Powell Butte, 8 heures 30.


Les nuages n'avaient cessé de se regrouper au-dessus de la ville et de ses environs, la pluie n'allait pas tarder à tomber. Le temps était très humide. Le niveau de la rivière qui passait à côté avait augmenté, ce qui avait saturé certains égouts, et produit des inondations. Le vent commençait à se lever, les premières feuilles d'automne commençaient à tomber et à s'accumuler sur les trottoirs. Le jeune homme qui était tombé du ciel marchait en plein milieu de la route. Il était rentré dans la ville sans s'en rendre compte, elle était presque déserte à cause de la tempête qui se préparait.

Ne sachant plus retenir ses pas, chacun d'eux faisait vibrer le bitume. N'ayant aucun but, marchant sans destination, il arriva bientôt à un arrêt de bus où attendaient trois jeunes collégiens. Il ne faut pas oublier que nous étions le 5 septembre, le jour de la rentrée scolaire. Le beau temps n'était malheureusement pas au rendez-vous pour ces trois jeunes, qui voulaient retrouver tous leurs amis dans leur établissement. Il passait devant eux le jeune homme tombé du ciel, et qui ne leur adressant même pas un regard. « Hé, toi, tu es un nouveau ? demanda un garçon qui attendait à l'arrêt de bus.

Cette question sembla le réveiller, il s'arrêta et se tourna vers eux.

-              C'est ici qu'il faut attendre, informa le deuxième garçon. »

La troisième personne qui attendait sous l'arrêt de bus était une jeune fille. Elle souriait au jeune garçon habillé de noir, et lui fit signe de venir. Celui-ci vint les rejoindre, toujours sans dire un mot. Il affichait un air totalement absent. Les deux jeunes hommes voulurent lui serrer la main, mais il ne manifesta aucune intention. Même s'il avait été totalement conscient, il ne connaissait pas cette méthode de salutation. Il reprenait cependant peu à peu ses esprits. « Oh, tu n'es pas habitué, dit l'un des jeunes garçons.

-         Alors, tu es un nouveau ? demanda l'autre. »

Le jeune tombé du ciel ne répondit toujours pas. Il voulait essayer de dire quelque chose, mais il n'y arrivait pas. Ce fut la jeune fille qui réengagea la conversation : « Le bus est vraiment en retard... Il faut dire que nous n'étions même pas certains qu'il vienne nous prendre.

-         Oui, mais cela nous fera un jour de vacances en plus ! s'exclama l'un des jeunes. »

La pluie commença à tomber faiblement, et ce n'est que quand elle s'arrêta que les deux adolescents décidèrent de rentrer chez eux. La jeune fille resta, et se demanda comment tirer quelques mots de la bouche du "nouveau", selon elle.

-         Tu es vraiment timide on dirait !

-         C'est que... débuta-t-il, cela fait vraiment bizarre...

-         J'ai enfin le plaisir d'entendre ta voix ! »

La fille souriait, mais n'avait pas compris le sens de sa phrase. « Qu'est-ce qui te fait bizarre ? Tu viens d'arriver dans le quartier ?

-         Non, ce n'est pas ça... Je veux dire que je ne me sens pas bien du tout. Où suis-je ? qui suis-je ? Que s'est-il passé ?

-         Hein ? Tu es amnésique ? »

Le jeune homme habillé de noir regarda ses mains, les bâtiments, puis le ciel. Finalement, il finit par tâter ses propres vêtements. Tout ce qu'il portait ne semblait pas venir de ce monde. Les matières étaient étrangement lourdes, certaines brillantes. Son épaisse ceinture noire était fermée par un signe métallique représentant une tête de tigre. Il avait la gueule ouverte, deux crocs étaient visibles. Accroché à la ceinture, la fille put distinguer le manche d'une épée. Quand elle manifesta l'envie d'y voir de plus prêt, le jeune homme remit sa veste par-dessus. « Tu te balades avec une épée ? Mais d'où viens-tu ? Tu ne te rappelles plus de ton nom ? Est-ce une blague ? »

Elle savait qu'elle n'aurait aucune réponse, mais avait quand même décidé de l'emmener chez elle. « Viens avec moi », déclara-t-elle en lui prenant le bras. Elle tira, mais ce ne fut que quand le jeune homme eut décidé de la suivre qu'elle réussit à avancer.


***


 La fille s'arrêta devant sa maison, le garçon fit de même. « En fait, je m'appelle Sophie... »

Elle se retourna, puis passa la clôture en ouvrant le loquet avant d'aller ouvrir la porte principale. Les deux rentrèrent dans l'apaisante demeure familiale. Il y voyageait une constante odeur de pain et de beurre. La cuisine était directement reliée au salon, qui servait d'entrée et de pièce principale. Un plafonnier, au centre de la pièce, diffusait une faible lumière orangée. Les parents de Sophie étaient très économes, et n'allumaient les plus puissantes lumières que quand ils étaient vraiment nécessaires. A l'extérieure, la maison paraissait banale, mais de l'intérieur, on changeait vite d'avis en voyant les grandes quantités de meubles en bois de toutes sortes, et les décorations sur les murs.

Apparemment, les parents de Sophie avaient pas mal voyagé, et devaient être cultivés. Ils se trouvaient à table, en train de prendre un petit déjeuné complet, avec biscottes, œuf sur le plat, configure, chocolat et jambons.

La femme et son mari dévisagèrent le jeune homme, qui les regardait d'un air absent. Sophie ne se fit pas attendre pour leur expliquer la situation : « Il marchait dans la rue, il ne se souvient de rien. »

Le couple avait l'air très sympathique, la mère sourit en disant qu'il pouvait rester jusqu'à ce que la tempête se calme. Elle voulut quand même essayer de se renseigner. « Tu ne sais plus où tu habites ?

-         Heu... Non. Mais je suis certain que mes souvenirs vont revenir... »

Sa voix était faible, et il était très pensif. S'efforçant un maximum de trouver à trouver des éléments à raccrocher, il ne put essayer de parler davantage. Il baissa la tête pour ne pas affronter le regard de la mère qui s'inquiétait. « Il y a un lit en haut, tu peux t'y reposer. »

-         Donc à ce que je vois, il n'y a pas de bus ? demanda le père.

-         Avec ce temps, il a dû avoir à faire à des inondations, répondit sa fille. »

Son père paraissait embarrassé par la situation, mais il se résigna bien vite à prendre la bonne décision : « Nous serons obligés de vous laisser tous les deux tout à l'heure, le travail n'attend pas. »

Son travail était d'acheter des maisons, de les rénover, de les louer ou de les vendre. Il en possédait une vingtaine, et son épouse l'aidait beaucoup. Cela leur prenait beaucoup de leur temps libre, et ils étaient obligés d'accorder une grande confiance à leur fille, qui devait alors faire le maximum pour ne pas les décevoir. « Il n'y aura aucun problème », prévint-elle en sachant sa satisfaction.

Sophie invita le jeune homme à gravir les marches pour aller à l'étage, le bois grinça sous le poids, mais personne n'y fit attention. Arrivée dans le couloir, la fille le mena dans la chambre d'ami. « Ce n'est pas le grand luxe par ici, mais il y a le principal », dit-elle en contemplant la pièce.

Elle ressemblait à une sorte de grenier, il y avait des toiles d'araignées au plafond, le parquet était vieux et abimé. Au centre, collé au mur, il y avait un grand lit deux places, dont la couverture en laine était presque recouverte de poussière. « Nous ne recevons pas beaucoup d'amis, ni de famille... »

-         Ce n'est rien, s'empressa de dire le jeune homme calmement. C'est parfait. »

Il s'assit sur le lit qui commença à grincer et à s'aplatir dangereusement, jusqu'à ce que le matelas et le sommier soient écrasés au maximum. « Oh, il n'est plus très jeune ce lit... », expliqua la jeune fille après avoir prié pour que celui-ci ne se brise pas en deux. En voyant ce jeune homme en train d'attendre sur le lit, elle repensa à sa vie et comprit que c'est ce qu'elle attendait : connaître une personne étrange.

Sophie avait par-dessus tout l'envie de ne plus être seule, à cause du "Fenril".


***


Présent comme des lames ardentes transcendant l'Homme, le Fenril est un regroupement de plusieurs personnalités. Quand on parle de troubles psychologiques d'origine inconnue, des défaillances graves se trouvant à l'intérieur de notre âme, on ne parle jamais de ce que j'appelle le "Fenril". C'est un état d'esprit qui peut gâcher toute une vie si on le laisse faire, et cet état n'est pas identifiable pour les personnes qui en sont concernées. N'importe qui peut être touché, car il se forge à l'aide de la haine accumulée et du bonheur qu'on ne croit pouvoir attendre. Au début, il nous pousse à nous tourner vers les autres, à toujours vouloir aider autrui afin de nous faire accepter, de quelque manière que ce soit.

Notre esprit est sans cesse bouleversé par des questions d'apparence et d'action, car on sent au fond de nous qu'on veut être admis. Le plus important devient la recherche d'autres personnes ayant le même état d'esprit. C'est d'ailleurs pour cela qu'au début, on se tourne vers les autres : pour trouver son idéal qui n'est en fait qu'un clone de ses pensées, un double. Si on ne le trouve pas, alors le "Fenril" nous pousse à nous aimer nous-mêmes. On devient narcissique et égocentrique, on se donne tous les droits, on n'en a rien à faire des autres humains qui ne nous comprennent pas. Plus l'état se fonde dans l'esprit, plus grande est la haine et la colère, et bien que cachés, ils se manifestent par des idéologies toujours plus différentes et extrêmes.


***


Cet état, chez Sophie, avait commencé il y a plusieurs années, quand elle n'avait que treize ans. Peu à peu, elle se laissait prendre sans comprendre ce qu'il lui arrivait. C'était comme une deuxième âme qui voulait l'absorber. Jeune élève au collège, brillante, calme et toujours souriante, elle avait tout pour réussir sa vie, avoir des amis, mais... il y avait toujours cette force d'origine inconnue qui était présente dans son corps et son esprit.

Quelques mois après un mal-être toujours plus présent, elle se réveillait le matin du jour où elle comprit qu'elle n'était pas normale. Du moins, le jour où elle en avait la preuve...

« C'est l'heure de se réveiller ! » prévint sa mère en frappant très doucement à sa porte. La jeune fille de douze ans sortie de son sommeil et déjà, des idées trottaient dans sa tête. Des pensées trop brutales l'avaient empêché de dormir de longues heures, et elle n'avait pas l'impression de s'être vraiment reposée.

Sophie descendit dans la cuisine pour prendre son petit déjeuner. Ses parents étaient déjà levés depuis longtemps, et finissaient déjà de manger. Il y avait sur la table le même repas copieux, qui leur permettait d'être en forme pour le reste de la journée. C'était bien ce qu'il fallait, car dans cette famille, la bonne forme physique et mentale était importante. Sophie était souvent livrée à elle-même quand ses parents travaillaient ensemble dans l'entretien de leurs maisons, qu'ils louaient et revendaient.

Le dos recourbé par la fatigue et la lassitude, la jeune fille s'assit à sa place en soupirant. Malgré tout, la bonne odeur du pain grillé et du beurre lui remontait le moral, mais ne lui procurait pas pour autant un grand appétit. « Tu as bien dormi ? demanda sa mère.

-         Comme d'habitude, répondit la fille.

-         De bonne humeur ? questionna son père en souriant.

-         Ça peut aller..., répliqua-t-elle en lui lançant un petit sourire discret. »

Elle mangea précipitamment, puis alla faire sa toilette. Elle ne mit pas trop de temps pour sortir de la maison et se diriger vers l'arrêt de bus.

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